Immergé depuis trois semaines à Tophane, Mathias Poisson s'est attaché à décrire par le dessin la vie du quartier, en partant à la rencontre de ses habitants. Du portrait du barbier au vendeur de simit en passant par le parc, découvrez dès demain les miniatures à l'espace DEPO de Tophane Lepetitjournal.com d'Istanbul (photo MA): Comment avez-vous procédé pour réaliser ce travail ?
Mathias Poisson : Depuis trois semaines que je suis arrivé à Istanbul, je me balade avec une planche de dessin rectangulaire, que j'ai fabriquée. Je m'installe dans la rue, et je dessine ce qui me passe sous les yeux. Maintenant, je connais pas mal de gens du quartier de Tophane : certains me proposent me faire leur portrait ou des choses à dessiner. J'ai beaucoup d'échanges avec eux.
La semaine dernière, j'avais des rendez-vous deux fois par jour avec des habitants qui m'emmenaient me balader dans leur quartier. Côté artistique, je dessine au stylo, c'est bien plus pratique que l'encre, sachant que je transporte déjà ma table. Et une fois rentré à la galerie, je colore les dessins. Le but de l'exposition, c'est d'abord de la rendre accessible à tous. Je ne veux pas que ce soit seulement réservé à des initiés du domaine de l'art, ce n'est pas le but. Il faut que cela soit compréhensible par les gamins, les papis, je n'ai pas envie d'exclure.
Quelles sont les choses qui vont ont le plus marqué dans votre rencontre avec ce quartier ?
Ce sont d'abord tous les contrastes qui s'y trouvent, notamment le fossé entre les galeries d'art, les immeubles et hôtels qui se construisent à toute vitesse à côté d'habitants dont le niveau de vie est très bas. Symboliquement, c'est très violent et les habitants le vivent mal. Selon eux, c'est une forme de non-respect de ce qui est traditionnel, ils mettent tout dans le même sac. Ce qui me plaît aussi beaucoup, ce sont les paradoxes dont sont remplis tous ces gens. Des choses complètement opposées cohabitent en eux.
Côté réalisation, votre technique artistique est plutôt artisanale...
C'est vrai, je fabrique par exemple mes encres à partir de choses trouvées dans la rue : ici ce sont des peaux de grenade, du thé, du vinaigre, des clous rouillés, de la cendre de bois... Mes stylos aussi sont souvent confectionnés à partir de morceaux de fer, ou de choses glanées ça et là. Mes dessins sont exposés sur une structure particulière : fabriquée elle aussi avec des planches de bois ou des éléments trouvés dans la rue, elle représente le plan du quartier de Tophane.
Fabrication artisanale des encres (photo MA)
Votre exposition est combinée au projet "Promenades blanches" que vous portez avec Alain Michard, en partenariat avec l'Institut français...
Nous avons mis en place ces "Promenades blanches" dans plusieurs villes différentes comme Marseille, Paris, Bruxelles, Yokohama ou Tokyo. Ce sont des promenades sensorielles : les participants portent des lunettes floues qui permettent de reconnaître les formes et les couleurs, mais altèrent d'autres éléments comme les écritures, les textures... Ils doivent se tenir le bras par groupe de deux : l'un porte les lunettes, l'autre le guide, puis ils échangent à la moitié du trajet. Ces promenades se font en silence. Le trajet part de l'Institut français pour arriver jusqu'à l'espace DEPO, en visitant des lieux sans pouvoir les identifier d'un coup d’œil. Ils passent par exemple dans un lycée, une boutique, un parking ou encore une galerie.
Comment réagissent les participants et quel est le but de ces promenades ?
Le plus frappant, c'est le moment de silence une fois les lunettes retirées. Pour moi, c'est un moment de méditation, de tranquillité. Après l'expérience, les gens parlent souvent d'impression de rêve, d'être dans un film, dans un tableau, d'avoir fait de la plongée sous-marine ou d'avoir pris de la drogue... Finalement, cela fait écho à des sensations fortes et différentes selon les personnes et leur passé. Elles sont mises dans des situations d'abandon, de lâcher-prise.
Sainte-Sophie par Mathias Poisson
Pouvez-vous résumer en quelques mots votre parcours artistique ?
Je viens d'abord du milieu de la danse, en tant que chorégraphe et danseur. Nombre de mes projets ont trait à la marche, à la promenade sensible. En tant que plasticien, j'ai aussi beaucoup travaillé autour de quartiers, de banlieues ou de zones pavillonnaires, des endroits où l'on pense au premier abord qu'il n'y a rien à dessiner. Dans un quartier de banlieue à Marseille sur lequel j'ai travaillé, le plus frappant était la décomposition totale du tissu social. Ici à Tophane, c'est l'inverse : les habitants vivent la gentrification du quartier tous ensemble.
Propos recueillis par Marlène Alibert (http:/www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 5 avril 2013
Exposition "Miniatures", du 6 au 28 avril 2013
DEPO - Tütün Deposu
Lüleci Hendek Caddesi No.12 - Tophane
Le site de l'artiste
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